5- Les raisins verts. 1946-1950


LES RAISINS VERTS

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DIX - QUINZE ANS.
1946-1950.


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La vie avait fini par reprendre son cours tant bien que mal à Versailles. Henri, le nouveau petit frère, était né en mars 1946, moins de six mois après le décès de son père. Maman se retrouvait avec onze enfants et quasiment sans ressources. Le salaire de Papa était arrêté, ne persistait que sa pension d’invalide de guerre. De braves dames du quartier tentèrent une collecte que maman, vexée, refusa énergiquement. Il y eut des aides surement de grand-mère Fauvel qui assura un temps les fins de mois. Ce ne fut qu’après un ou deux ans que cette pension fut revalorisée. Jean se vit dans l’obligation d’arrêter toutes études et se fit embaucher au ministère de la Reconstruction. Cela mit un point final à ses espoirs de navigation. A cela s’ajoutait les difficultés du rationnement qui ne disparurent effectivement qu’après 1948. Il fallait courir aux quatre cents diables pour obtenir certaines denrées ou obtenir un coupon de tissus.

Maman apparemment faisait face. J’imagine à postériori ses angoisses. Pour autant je n’en ai guère le souvenir. Imperméable à ces restrictions et à ses difficultés, enfermé dans ma coquille, je ne me rendais compte de rien.

S’il nous fallait des chaussures, Maman nous en trouvait dans le stock des chaussures abandonnées par les ainés qui étaient soigneusement conservées dans le placard à chaussure de la chambre des garçons. Je prenais les vieilles de Paul et laissait les miennes pour Bernard plus tard. Ce n’était pas la dernière mode, mais nous nous en fichions. Tout ce qui était en laine, c’était Maman qui le tricotait. Dès qu’elle avait un moment de repos, elle prenait son tricot. Elle nous faisait nos chandails, nos vestes, nos chaussettes et même les culottes pour les plus petits. Jusqu’à la fin des années cinquante, je l’ai toujours vue avec un tricot à la main. La laine était rare, il fallait donc la récupérer sur les vêtements les plus usés. Après le détricotage, la laine devait être lavée, essorée et séchée en écheveaux. Maman nous demandait alors de tenir l’écheveau entre nos bras écartés, le temps de remettre la laine en pelote. C’était notre seule contribution et cela nous paraissait toujours très long. S’il n’y avait pas assez de laine de la même couleur pour faire un nouveau chandail, maman s’ingéniait à nous en tricoter un avec des bandes d’une autre couleur récupérée ailleurs. Elle passait des heures à réparer nos chaussettes trouées au talon avec un œuf en bois et des laines pas toujours de la même couleur. Toujours pour nous habiller, nous la voyons penchée sur sa machine à coudre Singer à pédale , à nous faire des culottes courtes dans des chutes de tissus que nous apportaient les Martinot-Lagarde . Quasiment toute notre garde robe était faite main. On achetait le moins possible. J’étais alors totalement indifférent à ces vêtements faits de bric et de broc et souvent rapiécés. Depuis la guerre j’y étais habitué. Et puis nous vivions dans un milieu qui considérait la mode comme une manie peccamineuse.

Marie-Josèphe nous avait quitté. Surement déçue par son fiancé prisonnier qui au retour de captivité l’avait laissée tomber alors que pendant quatre ans elle s’était efforcée de lui envoyer chaque semaine un colis de victuailles. Peut-être aussi avait-elle senti que la situation financière de la famille ne permettait plus de lui assurer un plein temps. Elle avait trouvé une place à Paris. Une femme de ménage la remplaçait le matin. Une charge de plus pour Maman.

Je dus à cette époque "virer ma cuti". Autrement dit je faisais une première infection tuberculeuse. La tuberculose était la maladie qui faisait peur aux familles. Pas de traitement efficace, uniquement le bon air. Etant toujours aussi maigrichon, le docteur Veslot conseilla à maman de me faire respirer un air sain, vivifiant, avec de la bonne nourriture. C'est ainsi que je me retrouvais hébergé pendant un mois par une famille amie de Monique ou Marie, à Caudebec en Cau, sur les bords de la Seine normande. Le père était médecin de campagne. Il m'emmenait parfois faire ses visites dans sa "traction avant" Citroën. J'étais admiratif car un jour nous fîmes du soixante à l'heure. Je calculais : un kilomètre à la minute. Je comparais cela à mes performances à bicyclette et j'en restai ébahi. Il faut dire que c'était la première fois que je montais dans une automobile.

Sa femme était une vraie normande qui adorait la cuisine. Cela me changeait de la maison familiale qui m'avait habité à une cuisine de collectivité. Au petit déjeuner j'avais droit à d'énormes tartines de pain frais couvertes d'une épaisse couche de beurre et de confiture. Elle mettait de la crème partout et faisait elle même ses gâteaux. Un jour, elle invita d'autres enfants et sorti son moule à gaufre. Les gaufres se succédèrent croustillantes avec leurs couches de crème, de confiture ou de miel. C'était si bon que je voulus en manger plus que les autres. J'en fus malade pendant vingt quatre heures. Ce fut ma première et dernière indigestion. La maison était au bord de la Seine. Chaque jour je guettais la marée pour observer le "mascaret", une vague impressionnante qui remontait le fleuve avec la marée montante.

L'année suivante, toujours sur les conseils du docteur Veslot, je partis au sanatorium de Lioux dans le Vaucluse, au dessus d'Apt. Marie y travaillait comme infirmière et je logeais chez elle. J'étais donc séparé des autres pensionnaires. J'étais un peu seul dans la journée. J'avais pris l'habitude d'aller trainer du coté de la ferme. La fermière me pris bientôt sous sa coupe et me fit participer à ses travaux des champs. Un jour elle me demanda de garder ses moutons. Je l'avais déjà fait avec leur berger qui m'avait appris à siffler le chien. Un jour, son berger tomba malade. Elle devait descendre à la ville et il fallait bien sortir les moutons. Je rétorquai que je ne savais pas faire. A quoi elle me répondit que le chien, lui, avait l'habitude et que la seule chose à laquelle je devais faire attention était que les brebis ne tombent pas dans les éboulis et les ravins.

Je partis donc de bon matin avec mon bâton, mon chien et mes deux cents moutons dans la garrigue. Au début tout allât bien. Il ne faisait pas trop chaud. Les moutons avaient l'air de savoir où aller et restaient à peu près groupées. Le chien musardait sans trop s'en occuper. Cela se compliqua lorsque nous arrivâmes au bord du plateau qui se terminait par un à pic dangereux. Je demandais donc au chien avec force gestes, de ramener les brebis qui étaient trop près du ravin. Il me regarda avec son air le plus sot en remuant la queue mais ne bougeât pas. Je me mis à le siffler comme on me l'avait appris. Pas de résultat. Les moutons menaçaient de tomber et commençaient à s'éparpiller. Je m'affolais. Je courus alors dans la direction la plus dangereuse pour ramener les moutons vers le centre avec mon bâton. Mais dès que j'en avais ramené dix, il y en avait dix autres qui partaient à leur tour dans une autre direction, après lesquels je devais courir. Je courus ainsi toute la journée. Le chien lui se prélassait à l'ombre d'un chêne vert. Le soir ce fut la fermière qui vint à mon secours pour ramener les moutons. Alors là, comme par hasard, le chien lui obéit et fit son devoir. Je n'avais perdu aucun mouton, mais j'étais éreinté.

Maigre j'étais, maigre je le restai, malgré ces séjours destinés à me requinquer. Maman me surnommait parfois "son petit oiseau tombé du nid". Finalement le bacille de Koch me ficha la paix et j'appris à lui résister naturellement. Hormis quelques otites, la seule maladie dont je me souvienne reste la scarlatine. A L'époque, la scarlatine vous mettait au lit et en quarantaine pendant trois semaines. Pour ne pas la passer aux autres membres de la famille, je ne devais pas sortir de ma chambre. On m'apportait mes repas dans la chambre et je devais rester seul toute la journée. Ce fut long. La seule compensation fut d'éviter la classe durant tout ce temps.

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Le lycée.

J’étais rentré finalement en sixième en 1946. Monsieur Decrosan était mon professeur principal pour le français et le latin. Il le restera jusqu’à la seconde. C’était un homme de principes qui nous faisait des cours d’éducation civique et de morale. Malheureusement ni le latin, ni le français ne me passionnaient. Je rêvais sans écouter. Il m’arrivait de plus en plus souvent de dessiner pendant les cours. Je faisais des petits personnages, souvent des scénettes caricaturées pour me moquer de telle ou telles histoire ou de quelque professeur. J’avais fait la caricature de notre professeur d’histoire que nous surnommions Nounours. Un gros bonhomme sympathique auquel j’avais fait une tète d’ours. Comme je la faisais passer à un camarade, il me la confisqua et j’obtins deux heures de colle. Celui qui avait ma préférence était le pion qui nous faisait si peur. Je ne l’ai jamais connu que par son surnom : Tète de mort ou TDM. Je me faisais un malin plaisir de le représenter partout sur les murs ou sur les tableaux avec son béret crasseux vissé sur la tète jusqu’aux oreilles.

Un jour, ce fut monsieur Decrosan qui me surprit. Il me demanda de lui apporter ce que je griffonnais. Il garda le papier et me dis simplement de revenir à la fin de la classe. Ce que je fis la tète baissée, m’attendant à une sévère réprimande comme il en avait l’habitude ou peut-être encore une colle. Il me déclara simplement que je méritais une vraie punition à laquelle il allait réfléchir. Je partis donc, me demandant bien ce qui allait me tomber sur la tète. Ce n’est que le lundi suivant qu’il me rappela : « Sentilhes, j’ai bien réfléchi. Voici un carnet de dessin. Vous allez me le remplir en dessinant et illustrant avant Noël tous les chapitres, je dis bien tous les chapitres, du De viris illustribus que nous traduisons actuellement.». Le " De viris " était un texte latin qui relatait les conquêtes de César, notamment en Gaule, qui était la base de nos versions latines hebdomadaires. La punition était barbare car elle me forçait à traduire du latin pour pouvoir faire ces illustrations. Elle était astucieuse car elle témoignait qu’il avait saisi quel était mon point fort. Le dessin. Et sur ce point il me faisait confiance. C’était la première fois de la part d'un adulte.

Aussi je m'y attelais. Je rendis mon carnet à la veille des vacances. Il le feuilleta, me dit "Très bien, Sentilhes". Il empocha le carnet et je ne le revis plus. Tous les chapitres avaient été illustrés. Mes Romains et mes Gaulois étaient évidement enfantins, parfois drôles. J’étais à l’époque passionné de Dubout et de ses personnages grotesques. J’avais fait près de quarante scénettes avec beaucoup de lances ou d’épées cassées raccordées avec des petits bouts de ficelle. J’y avais mis de la couleur. Je ne dis pas comment j’avais fait pour obtenir la traduction de certains chapitres par des procédés inavouables. Mais c’était complet. Autrement dit j’avais prix ma commande au sérieux et non comme une punition. Cela marque un enfant.

De ce jour mes relations avec monsieur Decrosan furent différentes. Il voyait régulièrement Maman dont il connaissait les difficultés. Cinq ans durant il me poussa en avant sans complaisance. Il me soutint pour me faire passer dans les classes supérieures alors que certains professeurs que j’avais exaspérés y mettaient un veto absolu. Mais c’est lui qui en accord avec maman me fit redoubler la cinquième estimant que je n’avais pas encore le niveau suffisant.

En troisième, il avait décidé de m’interroger systématiquement à chaque cours. J’étais donc prévenu. Sachant que je serai interrogé, j’apprenais mes leçons et Thérèse me les faisais réciter. J’arrivais en classe les jambes en coton. Immanquablement je montais au tableau, commençait ma récitation et m’arrêtai en plein milieu : le trou noir. Impossible de sortir la phrase suivante que j’avais pourtant récitée la veille sans problème. Et ainsi à chaque fois je retournais à ma place avec le zéro attendu. C’était désespérant. Et pourtant ce fut ce même Decrosan qui me fit passer en seconde en fin d’année.

Il avait un fils, René, qui fut dans notre classe en quatrième et en troisième. Manifestement, René était en rébellion contre son père. Je me souviens avec quel aplomb il répondait insolemment à son père en pleine classe. C’était un chahuteur né. Nous formions donc la paire. Les meilleurs chahuts nous les avons organisés ensemble. Notre meilleure cible était notre professeur de mathématique qui se nommait Eliès et que nous surnommions GLISOQ. (Epelez très vite ces cinq lettres, vous verrez le rapport avec Eliès.) Nous mettions son bureau de travers sur son estrade de sorte qu’un des pieds soit dans le vide. Le brave Elies faisait immanquablement tomber son bureau déclenchant les rires de la classe et sa fureur. Il s’agitait alors dans tous les sens en postillonnant, mais sans oser punir quiconque. C’était notre tète de turc alors que c’était un brave homme. En troisième, nous étions avec René, quatre ou cinq meneurs, qui avions acquis uns certaine notoriété. Nous allions dans les sous-sols du grand Lycée explorer les chaudières et couper leur alimentation. Nous organisions des concours de billes dans la cour de récréation qui attiraient des dizaines d’élèves. Moyennant quoi je pense avoir été cette année là, collé quasi systématiquement tous les samedis après-midi et même beaucoup de dimanches. Le moins que l’on puisse dire, j’étais sur une mauvaise pente.

Au Lycée, j’avais fini par me faire une réputation, discutable certes, mais qui m’attirait une certaine admiration et parfois un certain respect de mes camarades. J’étais quelqu’un. J’étais souvent le meneur ou l’organisateur. C’était d’ailleurs un cercle vicieux. Les camarades attendaient de moi que je les fasse rire ou que je les surprenne. Rentré à la maison, je n’étais plus le même. Silencieux, fermé, je me retirais dans ma coquille, fuyait toute discussions. Ce début d'habitude à exister ailleurs. J’opposai à la famille un mur de défense. Ce n'était pas de la dissimulation, c'était une double vie.

Je me rappelle avoir été à plusieurs reprises convoqué chez le censeur ou le proviseur. La première chose que me fis remarquer ce dernier fut que mes lacets de soulier étaient défaits. Pendant toute la durée de la remontrance qui suivit, je n’écoutais pas et ne pensais qu’à refaire mes lacets. J’avais d’ailleurs mis au point un truc. Quand je devais subir un sermon qui très vite m’ennuyait ou que je trouvais trop long ou trop répétitif, je m’absentais mentalement. Un déclic, je regardais mon interlocuteur et soudains je le voyais fuir comme si je le voyais par le petit bout de la lorgnette. Sa voix devenait alors lointaine et glissait sur moi comme la pluie sur les plumes d’un canard. Je le regardais mais je ne l’entendais pas. Je n’écoutais plus. Lorsque c’était fini, je corrigeais mon zoom en disant oui à tout ce qu’on me demandait et m’enfuyait.

J’eu droit à des entretiens avec un médecin psychologue, Monsieur X, Il me fit dessiner le plan d’un village avec sa place, son église, sa mairie. Bien entendu j’y plaçais tout Verdelais, mais j’oubliai l’école. Il en conclut triomphalement que l’école ne m’intéressait pas. Cela, Maman le savait déjà ! Il conclut cependant que je devais continuer à suivre mes études et que cela finirait par changer.

Malgré toute la mauvaise réputation que j’avais acquise dans tout le Lycée, le père Decrosan continua à se battre pour me garder la tète hors de l’eau et me fit passer en seconde. Plusieurs années plus tard, alors que je finissais mes études de médecine, je repensais à lui. Une certaine gratitude me fit prendre de ses nouvelles pour lui faire savoir que ses efforts n’avaient pas été vains. On m’apprit alors qu’il s’était suicidé. Je n’en ai pas connu les causes. Mais j’ai bien regretté de ne pas avoir repris contact avec lui plus tôt. Je n’ai jamais su ce qu’était devenu son fils René.

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Les scouts et les camps.

Heureusement, il n’y avait pas que le Lycée. En 1946, J'entrais aux louveteaux. Ils allaient m'apprendre les rudiments de la vie en communauté. La meute avait son local rue Saint Honoré, près de la cathédrale, où nous nous réunissions tous les jeudis. Le dimanche nous avions des "sorties" qui nous menaient invariablement vers le parc ou vers la pièce d'eau des Suisses. Au printemps, nous faisions une "grande sortie" dans une des propriétés des environs de Versailles. Nous apprenions alors à monter les tentes en vue du grand camp de l'été à venir.

Ce premier camp de louveteaux se déroula en juillet à Arradon, dans le golfe du Morbihan. Je me souviens que la cuisine y était passablement mauvaise, sans doute faute de ravitaillement suffisant. Un jour, nous avons manifesté contre l'avis des cheftaines impuissantes, dans les rues d'Arradon en criant : " nous avons faim !" On devine l'émoi de la population du village devant tous ces gosses de ville, efflanqués qui hurlaient à la famine. Le maire s'en mêlât. Les cheftaines étaient furieuses d'autant plus que rien ne manquait vraiment. Monique devait être une de ces cheftaines. Le soir, nous nous retrouvions devant de grands feux de camps où nous chantions en cœur tandis que nos yeux étaient fascinés par les flammes et le rougeoiement des braises. C'était un grand moment de mélancolie que je retrouverai immanquablement lors de tous les feux de camps futurs.

Je crois que ce fut la même année que Paul et moi fûmes envoyés dans une colonie de vacances au pays basque. Elle était dirigée par des Franciscains. C'était à coté d'Ustaritz, sur les bords de la Nive. Je conserve le souvenir d'une ambiance joyeuse et décontractée. Nous passions notre temps sur la rivière. Nous avions à notre disposition plusieurs barques qui nous permettaient de faire la course. J'y appris l'art de la godille en chantant. Nous chantions tout le temps, en marchant, en ramant, le soir à la veillée, le matin au réveil. Nous avions notre fronton où nous faisions de grandes parties de pelote basque à main nue. Au deuxième séjour, nous fîmes une grande virée en remontant la Nive avec nos barques, puis en gagnant la frontière espagnole par des chemins de montagne. Nous nous arrêtions dans des "venta" où nous goutions des petits verres de "moscatel". Nous descendions de la montagne dans les petits wagonnets d'exploitation forestière qui nous balançaient au dessus du vide et nous donnaient de merveilleux frissons. Je découvris ainsi ce pays basque, son hospitalité, ses coutumes et ses maisons à colombage dans un environnement verdoyant. Un souvenir heureux.


Au cours de l'année 1947, eut lieu un grand rassemblement de tous les scouts du monde, un "Jamboree". Celui-ci se termina par un immense défilé à la gloire de Baden Powell, sur les Champs Elysée. Louveteaux, scouts, routiers furent rassemblés autour de la place de l'Etoile, avant de descendre les Champs Elysées jusqu'à la Concorde au son de musiques militaires. Je ne me souviens que du soleil, de la fatigue, de la foule et surtout quand nous dûmes faire le tour de la place de la Concorde des douleurs de mes pieds couverts d'ampoules. Ces pieds en compote me valurent deux jours sans lycée. Je crois que date de ce jour là mon horreur de la foule.

Le camp suivant se déroula en Auvergne. J'avais gravis un échelon en rentrant chez les scouts. C'était un "camp volant" avec une longue randonnée à bicyclette dans les monts d'Auvergne. Que des côtes et des descentes. Magnifique et épuisant. Je découvrait des paysages grandioses de l'Auvergne, les roches Tuilière. Mais je me rappelle aussi combien je peinais dans les cotes et retardait tout le monde. Je rêvais de pays plats. Jacques m'avait aidé à faire mes sacoches dans une toile de bâche kaki que nous étions allé chercher dans un magasin de surplus américains dans la banlieue nord de Paris. C'est nous qui l'avions cousue avec la machine à coudre de Maman. A elles seules, elles devait peser quelques kilos.

L'année suivante, en 1949, le camp d'été se fit en Corse toujours à vélo. Toute une randonnée de Bastia à Porto en passant par la côte, puis dans la montagne jusqu'à Corte et retour jusqu'à Ajaccio. Là je me rappelle les paysages époustouflants. Notre arrivée dans un petit port, Galéria, au Nord de Porto, au soir, où nous pensions trouver une boulangerie. Il n'y en avait pas et ce furent les gens du village qui se cotisèrent pour nous fournir du pain de chez eux. L'hospitalité corse n'était pas un vain mot alors. A Corte, nous primes le train pour monter au col de Vizavone. C'était un tortillard qui ne dépassait pas le trente à l'heure. Comme il lui fallait faire des lacets interminables pour grimper le col, nous étions descendus du train et avions grimpé la pente à pied pour retrouver le petit train une demi-heure plus tard trois ou quatre cents mètres plus haut. A Vizavone, nous campions dans la forêt. Quelle ne fut pas notre surprise en découvrant au petit matin que les cochons sauvages, tout noirs, qui pullulaient dans les montagnes, nous avait dévoré non seulement nos provisions mais aussi une partie de nos sacoches de vélo.


Il y eu encore un camp dans la Creuse où Paul avait été nommé intendant. C'était lui qui était soit disant responsable des achats alimentaires. Avec son sens naturel des économies, il nous ramenait des patates germées ou des fruits en état de décomposition avancée. Comme il n'y connaissait rien en matière culinaire, il demandait à la tenancière de la boutique des idées de recette. C'est ainsi que nous eûmes droit à une recette de soupe : eau, semoule et sel : Infâme. Bref, ce ne fut pas le camp de la gastronomie. C'est au cours de ce camp que Paul, en plongeant dans la Creuse, se fit une balafre en heurtant une roche ou une branche. Il avait le visage en sang et je croyais qu'il allait mourir.

Mon dernier camp se fit au Vercors. J'avais alors un vrai ami que je n'appelais que Lescuyer. Nous n'utilisions pas nos prénoms, il m'appelait Sentilhes. Lui non plus n'avait pas de père. J'ai cru comprendre qu'il avait quitté le domicile sans laisser d'adresse. Sa mère travaillait dur pour gagner leur subsistance. Ils habitaient au dessus d'un marchand de charbon, rue du Vieux Versailles. Nous avions fait notre communion solennelle ensemble, et il était venu à la maison car sa mère n'avait rien prévu pour cette fête. Il allait lui aussi au Lycée. Mais lui était un bon élève, un très bon élève même, toujours dans les premiers. Il s'amusait de mes chahuts mais ne les encourageait pas. Il avait décidé de cultiver sa mémoire. Il avait ainsi appris le nombre "Pi" , (3,14 et des poussières) jusqu'à sa cinq centième décimale, comme ça, uniquement pour le plaisir. Moi qui n'étais pas capable de retenir quatre lignes de poème, cela me renversait.

Au cours de ce camp, nous avions tous les deux été particulièrement impressionné par l'évocation qui nous avait été faite de l'épopée et du martyre des résistants du Vercors massacrés par les Allemands en 1944. C'est au cours d'une de nos randonnées dans la montagne, par une chaleur accablante, alors que nous étions morts de soif, que nous arrivâmes enfin auprès d'une source d'eau fraiche. Tous les scouts se précipitèrent pour étancher leur soif. Lescuyer se tenait en retrait sans boire. Je lui demandais s'il n'avait pas soif. Il me répondit que le plaisir d'entendre l'eau couler alors qu'il avait justement très soif était bien supérieur à celui trop simple et trop vulgaire de se précipiter à boire. C'était un aristocrate à sa manière . Je me sentais un rustre.


Son ambition était de faire Saint Cyr et servir son pays. Il passa donc brillamment le concours d'entrée et en sorti dans le génie. Dès sa sortie il fut envoyé en Algérie au plus fort de la bataille d'Alger avec ses assassinats et tortures des deux cotés. Il en revint désorienté, déboussolé et ulcéré. Cet homme que j'avais connu plein d'enthousiasme pour son idéal était devenu amer, écœuré. Il refusa de me raconter ses déboires. Il quitta l'Armée, rentra dans le civil comme ingénieur et disparu. Je ne l'ai plus jamais revu.

Je crois pouvoir dire ma reconnaissance à ces années de scoutisme, qui non seulement m'apprirent mille choses pratiques comme allumer un feu ou m'orienter dans des conditions difficiles, mais surtout me constituèrent une charpente alors que dans le même temps, au lycée, je m'enfonçais dans le néant.

Le dessin.

Durant toutes ces années, j'ai toujours dessiné. Au début je recopiais les dessins des journaux auxquels nous étions abonnés. Pendant des années ce fut "le journal de Tintin". Ils comprenaient tous quelques bandes dessinées. C'est ainsi que j'ai appris les rudiments, les jeux d'expression, le rire, la colère, l'étonnement, les positions des membres. Puis ce fut dans les années cinquante les dessins de Pierre Joubert qui illustrait les journaux pour les scouts et les livres de la collection "Signe de piste". C'est chez ce dernier que j'appris la technique des hachures.

Maman recevait après la guerre, un colonel Martin-Prevel qui avait un don du dessin et qui chaque fois qu'il venait à la maison nous étonnait tous avec des petits dessins, des croquis au stylo, des rébus ou des jeux dessinés. Cela me fascinait et j'en redemandais. A la fin, je lui présentais un petit album que je conservais entre ses visites et que je m'efforçais de recopier avec plus ou moins de bonheur.

Un autre visiteur, un ami de Monique, était lui sculpteur. Je me rappelle les commentaires à son sujet car il ne parvenait manifestement pas à vivre de ses créations et sa femme et lui tiraient le diable par la queue. Mais il savait peindre. Ce fut lui qui le premier m'entraina à peindre d'après nature. Nous nous installâmes au coin de la rue Saint Honoré et de la rue Saint Louis sur un petit tabouret. Le sujet était le porche d'entrée des D'Amonville. En un clin d'œil il jeta sur le papier une petite aquarelle sous mon œil médusé. Puis avec patience il reprit mon travail pour lui donner une forme acceptable. C'était la première fois que je m'astreignais à reproduire ce que je voyais et ce que j'avais devant les yeux et non ce que j'avais dans la tète. Plus tard il m'apprit les rudiments de la perspective avec un petit opuscule très simple. C'était un bon pédagogue.

Un peu plus tard j'allais subir l'influence de monsieur Chupin. Madame Chupin était une grande amie de Maman. Elle habitait à quelques pas de chez nous dans la rue saint Honoré. Toutes les deus mères de famille nombreuses, elles avaient décidés que leurs enfants qui avaient le même âge, Gonzague et moi-même en l'occurrence, deviendraient nécessairement amis. Donc nous étions conviés tous les jeudis et dimanches à sortir ensemble. Cela ma rasait profondément car Gonzague – quelle idée d'avoir un prénom pareil ! - ne s'intéressait à l'époque qu'aux locomotives que nous admirions du haut des bois Saint Martin. Je n'en voyais pas l'intérêt. Par contre il dessinait. Nous finîmes par devenir copains.

Le père de Gonzague était lui un doux rêveur et un très bon aquarelliste. Tous les dimanches il partait au Parc du Château faire son aquarelle. Ayant compris que cela pouvait nous intéresser, il nous invita à le suivre. Et c'est ainsi que nous primes l'habitude de partir souvent avec lui, avec notre petit matériel. Nous croquions une statue, un bassin ou une allée, un paysage avec lointain. Au retour nous comparions nos œuvres. Il acceptait nos critiques mais ne nous épargnait pas. Nos essais étaient loin de la perfection et nos verdures ressemblaient trop souvent à des plats d'épinards. Il nous apprit la technique de l'aquarelle et l'art des couleurs et celui de la mise en page. Plus tard nous nous essayâmes à voler de nos propres ailes. Nous partions tous les deux, Gonzague et moi, parfois pour un week-end et revenions avec deux ou trois aquarelles. Au retour, patiemment monsieur Chupin nous donnait ses appréciations, trop souvent négatives mais toujours encourageantes. Il savait nous persuader que nous pouvions faire mieux.


Les étés à Verdelais

Après les camps nous nous revenions tous à Verdelais pour la fin de l'été. Des vacances sans Verdelais n'auraient pas été des vacances. Je retrouvais alors les Allées, les vignes, la Garonne et les balades à bicyclette. J'avais maintenant un vélo normal. Le champ de nos excursions s'étendait jusqu'au château de Labrède où avait vécu Montesquieu, près de Bordeaux. Mais aussi jusqu'à Sauveterre de Guyenne, ou La Réole. Une fois nous avons traversé les Landes jusqu'à Biscarosse. Je découvris les vagues et les rouleaux de l'océan. Cent kilomètres. Cela nous pris trois jours. Nous étions très fiers.

Paul et moi allions parfois au Mont Célestin interviewer le père Campana. Ce brave homme allait sur ses cent ans et ne se déplaçait plus guère. Son crane me fascinait tellement il brillait malgré ses tavelures brunâtres et je me demandais s'il le cirait. On raccontait que sa nièce qui étai à moitié folle, avait voulu épandre sur cet auguste crane des ardoises pilées pour redonner un peu de couleur aux rares cheveux qui lui restaient. Ancien notaire, il avait été pendant la guerre le maire de Verdelais et avait accompli sa tache difficile entre l'occupation allemande et ses administrés avec beaucoup de dignité. Tout le monde lui en était reconnaissant. Il nous racontait ses souvenirs de jeune homme, à la fin du dix-neuvième siècle. Une époque où les écuries de la propriété étaient remplies de chevaux. Des chevaux à monter, d'autres pour les gros travaux, d'autres pour tirer une des nombreuses voitures utilisées pour se déplacer : calèche, phaéton, carriole ou char à banc, qui se trouvaient encore dans les écurie du Mont Célestin. C'est lui qui nous raconta sa stupéfaction lorsqu'un jour où il était monté à Paris et où il se promenait sur les Champs Elysées, il vit passer devant lui une voiture qui avançait sans chevaux ! C'était la première voiture auto-mobile qui remplaçait les voitures hypo-mobiles. Le début d'une révolution. Il avait mille histoires à raconter et longtemps nous avons regretté de ne pas les avoir enregistrées. Il mourut peu avant 1950. Sa petite demeure directoire fut longtemps à l'abandon et Maman rêva même de l'acheter. Peut-être pour Jacques ?

En 1949, l'été fut marqué par les incendies des Landes . L'été avait été très sec, pas une goutte de pluie, une chaleur étouffante. En aout, plusieurs incendies se déclarèrent en différents endroits dans les pins. Un vent violent attisa des feux qui finirent par se réunir. Cela dura plus de deux semaines. Nous montions en haut du calvaire pour voir au loin les colonnes de fumées qui s'élevaient très hauts dans le ciel et le soir le rougeoiement des flammes à l'horizon. Le vent rabattant vers Verdelais les fumées, nous eûmes près de deux jours de pénombre en plein jour. Il fallait allumer les lumières. C'était un sujet de conversation permanent car les lignes de chemin de fer étaient interrompues, les routes coupées. Et puis il y eut ce drame près de Bordeaux, 89 pompiers et sauveteurs bénévoles qui avaient été brulé. (cf. lettres en annexe). Ce fut un véritable choc pour la région. Ceci dit, cette année là fut naturellement une des meilleures pour le vin.

Encore quelques jours de vacances, car il fallait naturellement rester jusqu'à la fête de Verdelais du 8 septembre. Les pèlerinages battaient alors leur plein. Il y avait même eu une année où nous avions eu à fêter la Vierge de Boulogne sur mer qui faisait un tour de France en s'arrêtant dans les paroisses les plus connues. L'affluence était à son comble. Outre les cérémonies religieuses qui se succédaient, messes, grand messe, chemin de croix au calvaire, vêpres et procession au parc des Pères, les allées étaient alors remplies de manèges et cabanes de fête foraine. Ce fut l'époque où nous découvrîmes la barbe à papa que l'on mangeait en tirant la langue alors que le sucre venait coller aux joues. Les tirs à la carabine. Les manèges avec leurs chevaux qui montaient et descendaient sur une musique mécanique. La foule, les cris, la musique des manèges, tout ce bruit obligeait maman à se réfugier dans le jardin sous le platane. Cela se terminait le soir par le bal du bout des Allées avec son orchestre musette où je m'essayai aux danses que j'avais apprises à Bertranon. Le problème est que je n'osais inviter une fille que je ne connaissais pas très bien. Je restai donc le plus souvent dans mon coin à observer le bonheur des autres. Qu'importe c'était aussi une belle fête que pour rien au monde nous n'aurions voulu manquer.

Les vendanges.

Ces premiers jours de septembre étaient marqués par les premières vendanges auxquelles nous participions. Les premières années, nous n'étions que des aides bénévoles qui allait chercher ou remplacer les paniers pour les vrais vendangeurs, ceux qui sélectionnait et coupaient le raisin. Lorsqu'on nous fit plus confiance, on nous confia le sécateur. Les dernières années nous étions même payés. C'était alors plus fatigant car il fallait rester courbé pour couper le raisin qui était alors sur des vignes courtes qui ne dépassaient pas le mètre de hauteur. Maintenant les vignes font près d'un mètre quatre-vingt et sont vendangées mécaniquement.

Le bonheur, c'était la fin de la journée lorsqu'on rentrait fourbus à la propriété, sur la charrette au pas lent des bœufs. Tous les vendangeurs se retrouvaient dans les chais. Il y régnait une odeur forte de raisin écrasé. Dans le pressoir, des hommes avaient déjà commencé à fouler le raisin au pied. Bien sur nous voulions y aller aussi. On se déchaussait, se rinçait les pieds à la va vite et nous montions dans le pressoir où nous nous enfoncions dans le raisin jusqu'à mi-cuisse. Les filles aussi y montaient en relevant leurs jupes jusqu'aux cuisses ce qui entrainait force quolibets. Puis très vite les plus sages nous demandaient de redescendre car ils craignaient que les vapeurs d'alcool nous montent à la tète.

Et je rentrai à la maison tout fier, serrant dans les mains les quelques francs que j'avais reçu pour salaire. Car nous étions payés à la journée. Cela durait quatre ou cinq jours. Puis nous rentrions à Versailles, la mort dans l'âme devant la nouvelle année scolaire qui s'annonçait.



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Quatre lettres en annexe.1949-1950.

Des lettres que j'avais envoyées à Monique, ma marraine, qui se trouvait alors à Saigon avec son mari. J'avais alors 14 ans. Ces lettres ont été retrouvées par Marie-Claire Bruley en 2007. L'orthographe a été conservée avec les nombreuses fautes résiduelles, bien que corrigées par Maman.

16 juin 1949.
Chère Monique,
Je m'escuse de tant tarder à t'écrire mais enfin je m'y mets.
Après cinq jours de retraite j'ai fais mardi le renouvellement de Communion Solennelle. C'était très sympathique. Le matin, une messe basse, un sermon de l'abbé Vandevalle et des brioches. J'étais accompagné de Maman, Marie, Thérèse et Bernard. L'après-midi, salu, renouvellement, Bénédiction du St Sacrement. Il n'y avait que Maman et l'oncle Albert.
Dimanche, à l'occasion de la communion de Brunot Chupin, ils nous ont tous invités à gouter, diner et passer la soirée chez eux. C'était vraiment très agréable. Avant de partir, il nous ont chaté plusieurs petits (champs) chants et la nuit de Rameau.
Et vous cela vat-il bien. Le boy s'est-il encore disputer avec sa femme.
Donnes nous des nouvelles de ta nouvelle maison et quand change tu, de nouveau, de maison?
Dis au revoir de ma part à jean et je t'embrasse bien fort.
C.Sentilhes.
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Chère monique
Voudrais tu me donner les timbres de la colection que tu mes sur tes lettres ? et puis voudrais tu me donner le plan de votre nouvelle villa ? y a-t-il beaucoup de verdure ? voudrais tu me donner des feuille de chaque arbre de ton jardin parce que je fais collection de feuille. Elle est à Verdelais. Tu me répondras une lettre particulière.
Je t'embrasse bien fort.
Bernard Sentilhes
PS quelle date compte tu me répondre ? quelle date conte tu avoir ton bébé ? voudrais tu avoir un fille ou un garçon?

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Verdelais, 22 aout 1949.
Chère Monique.
Toutes mes félicitations pour Chistine*. Malgrès que j'aurai préféré un garçon. C'est moi qui ai reçu le télégramme qui est arrivé à 6h. et j'ai été tout de suite le porter à Maman qui était chez madame Roy avec le reste de la famille.
Je te remercie de m'avoir offert les cours d'anglais que je prends. J'espere que cela va me remonter. C'est une bonne sœur qui me donnes ces cours. Comme elle est n'y voit pas très bien elle me fait énormément parler (et tout épeler).
Notre voyage en Corse s'est très bien passer. Bien que pas très bien nourri et un peu fatigué comme maman a pu te le dire d'ailleurs. Nous avons Paul et moi séjourné à marseilles pour visiter. C'est pas joli à part Notre Dame de la garde, rien d'intéréssant. Pour se baigner il faut payer vingt francs. Nous qui avions 200 F. pour vivre jusqu'au lendemain et il faisait chaud……. Et pas d'eau potable à boire. La corse et quand même mieu….
Je ne sais si Maman te la dis mais nous allons à Lourde. Nous étions engagé comme enfant de cœur et au patronage et le Père Humière qui nous dirigeait à organisé un pelerinage à lourde. Voyage gratuit pour les enfants de cœur. Alors Bernard et moi nous y allons. Nous partons samedi dans un cars pulman de Labaye. Nous visiterons les grottes de Bettharam.
Donc voyage gratuit il faudra peut-ètre payer la nourriture et nous coucherons sous la tente. C'est idéal.
Donne moi des nouvelles de Saigon et de Christine et de Jean, de vos boys de tout et de toi. Beaucoup de gros craquot. Claude.
P.S. Toute les landes son en feu. arcachon a été entouré par les flammes. 120 victimes plusieurs villages d'incendiés. On fait venir les pompiers de paris. C'est terrible nous sommes recouvert de fumer. C'est pire que l'exode. On demande pour les sinistrés des meubles, affaires, etc…on dit que ce n'est pas la sécheresse mais des attentats !

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Versailles, jeudi 8 décembre.
Chère Monique.
Alors il parait que tu fais des voyages, tu vas habiter à Dalat. Tu nous expliqueras comment tu es installée là-bas, ta vie, ton voyage. Je te remercie, ainsi que Jean qui sans doute t'aidera, de ta généreuse offre que tu me fais là pour mes étrennes. Maman te le diras après avoir bien cherché, je crois que le plus utile pour le moment c'est un stylo aussi je te demanderai de préférence un stylo. Je t'en remercie d'avance (un stylo solide, très solide).
Est-ce que Christine vat bien ? lui apprends tu l'annamite ?Et l'apprend tu toi-même ? Pourras tu te baigner à Dalat sur le fleuve ? Ici nous comptons les jours qui nous séparent de Noél. Cela n'empèche pas que demain j'ai composition de récitation latine (la dernière).
Aussi pour cela je vais te quitter car j'ai beaucoup plus de travail qu'en 5ème. Je t'embrasse et je te remercie encore, ainsi que Jean et Chistine. J(aimerai la voir cette christine envoie-nous de belles photos sur elle… Bon baiser. C. Sentilhes.

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Versailles 2 janvier 1950.
Ma chère Monique,
Tout d'abord je vous souhaite une bonne et heureuse année 1950. Hier nous sommes tous aller, en famille, chez les Bruley. Grand-mère était venue en taxi avec Jacques. Nous avons eu un repas magnifique : un bon gigot, des haricots, 2 gateaux; Pour commencer le repas nous avions des souflets au fromage dans des ramequins. Nous avions aussi 3 sortes de vins: blanc,"entre deux mers", rouge et champagne. Mr. Bruley ne voulait pas faire partir le bouchon, mais Georges Arquié en a fait partir un, au grand effroi de Maman. Et il a fait une tache au plafond. Après, café, liqueurs. Puis bridge, Cinéma, gouter et encore cinéma. Henri t'a reconnu et s'est écrié: "Oh, Monique qui embrasse Jean…" Nous avons vu votre mariage et les films d'Alain Clanet sur l'Indochine et leur vie là-bas.
Nous avons passé d'éxcélente vacance. Pour ma part j'ai été très occupé. Entre les Scouts, aller à Paris, dessiner etc…Nous avons été voir, en famille encore, le film sur "Jeanne d'arc". C'est une merveille, Ingrid Bergman qui joue dans Jeanne est d'un réalisme. Maman en a pleuré et moi j'ai "reniflé" comme dit Maman. Avant nous avions été voir aussi : "Pour qui sonne le glas". Avec aussi Ingrid Bergman. Celle-ci joue là aussi merveilleusement. Elle a des jeux d'expressions vraiment épatants.
Nous avons passé un Noèl très agréable. Paul a du tout te raconter; Maman a eu une travailleuse. Moi, un couteau sa chaine, un portemine, 2 livres, un coupe-ongle. Vous nous avez bien manqué ainsi que Jean et Jeanine. Avez-vous passé un bon Noèl ? Ecris nous et raconte le nous. Comment va Christine et Jean ? Maman a eu pour ses étrennes un abat-jour pour la lampe du bureau. Il fait très chic.
J'éspère que tu as reçu ma lettre ou je te disais ce qui me ferais le plus plaisir pour mes étrennes (un stylo, solide, pratique: Bayard). Reviens tu en France cet été ? encore une fois je te souhaite une bonne année ainsi que Jean et à Christine. Merci pour mes etrennes. Bon Baiser à tous.
C. Sentilhes.

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